vendredi 19 mars 2021

Marcher du talon

J'aime les filles qui marchent du talon. Transparentes, expéditives, généreuses, mais sans compromis. Celle à la table d'en face, qui discute avec son ami gai, marche du talon. Jolie brunette au chignon lustré, elle jase d'une joli voix d'alto, d'un débit rapide, de tout et de rien. Elle porte un tricot échancré noir et laisse s'éventer une poitrine généreuse. Elle fait un brin gitane. Sa ceinture de cuire acajou, un peu haute, mal étreint un petit ventre bourreleteux, désirable. Il serait très étonnant qu'à cette heure de sa vie, elle ait des complexes à l'égard de son corps. Elle doit nager de temps en temps, danser plus souvent qu'autrement, se laisser draguer pour l'amusement. Elle a un peu d'acnée sur les joues, signe d'une adolescente qui provoquait le rejet. En conflit avec sa mère, elle a quitté le nid assez tôt. Je me demande si elle a connu son père, si elle a pris le temps de connaitre ses beaux-pères. Elle s'habille à la hâte pour quitter la Brulerie. Elle aime les fibres naturelles, le foncé et, par l'effluve que m'a lancé son foulard, elle habite un apparte un peu humide. Demain, elle en parlera au propriétaire. "Un m'ment d'né, y a des limites", qu'elle me dit, en déboutonnant son manteau d'une main et en se tirant une chaise. "On se connait très bien sans se connaitre, tu trouves pas?" "Embrasse-moi donc, voir."

samedi 25 février 2012

Meliton : Vers un début

Voici une lettre que l'on retrouvera dans mon roman et qui témoigne du super-hyper héroïsme de Meliton. Sachez que Meliton, courageux, n'a respecté en rien le contenu de la note qu'il a reçue de son supérieur. Aussi se fera-t-il congédier. Le lecteur aura deviné que Meliton est ce futur ex-secrétaire-réceptionniste blasé dans une animalerie de quartier.

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Le 21 février 2012



Madame Claire Lalumière
1111, rue Watt
Laval (Québec) H7G 8P0


V/Lettre du 17 février 2012


Objet : Réponse à une réclamation


Madame,

Il me fait plaisir de vous écrire concernant le chihuahua que vous avez commandé dans notre boutique en ligne.

Dans votre lettre datée du 17 février dernier, vous nous disiez avoir des problèmes avec, je vous cite, son « requins-ben ». En effet, vous nous informiez que ce petit animal était constamment en train de « zigner » sur les membres de votre famille comme sur les mollets de vos invités, éparpillant sa semence sur votre marbre blanc ou vos tapis turcs et causant un désarroi généralisé dans votre résidence que j'imagine cossue. Vous disiez qu'il s'agit d'une erreur de notre part, qu'il y a là « défaut de manufacture manifeste, voir[e] int[e]ntionnel ».

Je me vois contraint de vous dire que, malheureusement, votre chien adopte un comportement tout à fait naturel, surtout si l'on considère son jeune âge. Par ailleurs, les chiens – et les animaux en général – ne sont pas fabriqués en usine, il ne peut donc s'agir d'un défaut de manufacture.

Aussi, je vous conseillerais de consulter un psychiatre et vous demande de ne plus communiquer avec nous à moins d'une preuve que vous absorbez une quantité suffisante de médicaments.

Agréez, Madame, mes salutations cordiales.


La directrice du Service à la clientèle,




Ruth Weiller

RW/gpm

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lundi 6 février 2012

Super-hyper héros

Gerry Pete Meliton.

Un super-hyper héros qu'on ne peut décrire autrement que par une super-hyper onomatopée : Wow!

(Gerry Pete Meliton - prononcer Je-Ré-Pet - sera le protagoniste de mon prochain roman. Il sera grand, blond, musclé et - Originalité! - il aura une très faible estime de lui. À preuve, il passera sa journée à douter du paragraphe qu'il aura pondu. Car oui, il est écrivain. "Pas blogueur : écrivain", se convaincra-t-il, dans le titre du chapitre premier. D'ailleurs, dès l'incipit - primeur, primeur! - il se demandera si l'on publie "dans" ou "sur" un blogue. Quelle crédibilité! Autre aspect de sa très complexe mais ô combien fascinante psychologie - aspect que, par parenthèse, l'on connaîtra dès le tout premier paragraphe -, il se relira plus qu'il le faut, le plus souvent complaisamment, et - Attention, autre primeur - Meliton se demandera si vraiment on le lit.

...

À moins que je ponde Les aventures de Meliton et Sangény, un jeune couple habitant Tourneur-en-Rond, petite bourgade franco-italienne inconnue, sise au bord du fleuve Seppatro. Ces deux personnages super-hyper blasés auront soudainement l'ambition commune de trouver l'ultime rien nulle part. J'étudie encore l'élément déclencheur mais, chose certaine, dans leur quête - Quel flash! -, à un moment crucial - car il y aura beaucoup, beaucoup de suspense -, ils se heurteront au colossal Bon Stassay.)

...

L'écrivain

- Et tu écris sur quoi, Baptiste?
- J'écris surtout sur les gens.
- Ah.
- Avant-hier, par exemple, j'ai composé un très joli calligramme autour du nombril de ma voisine.
- ?
- Littéralement.
- !

mercredi 23 novembre 2011

Message d'outre-temps

Dans la boîte de courriels poussiéreuse de mon dernier emploi, une de mes anciennes étudiantes, morte cet été d'un cancer, me laisse un message en anglais : live your life, you have only one, have no fear, etc.

Quelque chose vient de finir, que je me dis.

Dans la nouvelle télé HD de mon salon, un de mes auteurs préférés, Dany Laferrière, répond à un animateur fât que sa bibliothèque est un cimetière où les morts lui parlent.

"Et si quelque chose commençait, Baptiste?", me dit-il, le jus de sa mangue dégouttant sur le lino du salon.

La main de tante L.

Je visitai mon grand-père.

Je marchai comme on marche dans un corridor institutionnel : le pas sans volonté.

Au seuil de sa chambre, je le vis dans son lit : il était pâle, maigre, respirant avec peine, la bouche grand ouverte, la tête renversée. Il dormait. Ma mère, les yeux plein d’eau, me regarda regarder l’agonie de son père.

J’entrai et me fondis dans le profond fauteuil de l’impuissance, en face du dormeur. Ma mère était à ma gauche, ma cousine J. à ma droite. Après un bref silence, ma mère se leva pour se pencher à l’oreille de grand-papa : « C’est Baptiste, Papa, ton joueur de violon préféré ». Elle lui caressa la tête, posa un baiser sur son front, lui chuchota : « Beau Papa d’amour ».

Le temps de parler des tours de mon grand-père dans son village natal. Le temps de rire avec la belle cousine J., qui habite à Montréal et qui s’est fait aborder par un Français caféinomane, Thomas qu’il s’appelle. L'impression de se distraire, malgré tout.

Tante L., la plus jeune des filles de mon grand-père, entra. Politesses d’usage. Elle s’assit sur le bord du lit et caressa son père des yeux.

Léger silence.

Elle posa la main droite sur le mince tissu bleu pâle de la jaquette d'hôpital de son père, ce tissu qui cache un filet de peau diaphane, cette peau qui recouvre son thorax osseux, thorax qui protège, un temps encore, la vie. Et je songeai que jamais la main de ma tante n’eut été si près du cœur de son papa.

Du haut (avec fin aussi en calembour)

- Tu n'écris plus Baptiste?
- Je ne sais pas. On dirait qu'écrire me donne de plus en plus le vertige.
- (La peur des auteurs)